Il est cinq heures du matin et je ne peux pas dormir. Je ne suis pas arrivée à aller me coucher avant trois ou quatre heures du matin ces derniers jours.
J’ai été à la marche avec tous les autres. Ce n’était… pas cathartique. Je me sens toujours aussi vide et inquiète et dégoûtée et je ne sais toujours pas quoi penser.
Le temps de la peine est passé et maintenant tout ce qu’il reste c’est de la peur. Je ne me sens pas mieux, même après avoir été dans les rues avec le reste de la France. Mon esprit est rempli de mauvaises pensées et de gens blessés et de bombes qui explosent et de lois liberticides.
J’ai essayé de retirer quelque chose de positif de tout ça en discutant avec une amie à moi, en parlant du fait que les gens se sont rassemblés très rapidement pour montrer de l’unité, et ça ça devait compter pour quelque chose de bien, ça, non ? Elle qui est d’habitude très optimiste et joyeuse m’a dit pragmatiquement, sans amertume et avec sincérité : « Oui… pour le temps que ça durera. »
Je ne peux pas oublier cette phrase. Tout s’est passé tellement vite, et la peine et la douleur se sont abattues sur nous immédiatement et tout le long, pendant que nous passions par cet horrible maelstrom d’émotions inconcevables, les gens étaient déjà en train de commenter sur ce qui s’était passé et ce qui était en train de se passer et ce qui allait se passer après. Tout à la fois. Nous avions une conscience aiguë des yeux du monde entier braqués sur nous pendant que nous entendions et lisions des choses horribles sur les victimes et sur la France en général, alors que nous étions encore en train de souffrir. Nous nous sommes défendus, nous nous en sommes pris les uns aux autres, nous avons accusé, nous avons protégé, nous avons crié, nous avons pleuré nous avons récusé, nous avons expliqué, nous avons excusé, nous avons attaqué, nous avons contre-attaqué, des mots, des mots, des mots, empilés les uns sur les autres aussi vite qu’ils pouvaient être tapés sur un clavier… tout ça, tellement rapidement. Et tout est encore tellement confus. On nous a demandé ce que l’on pensait alors que nous ne pouvions même pas former de pensée. Et nous pouvons tous sentir que le vent est en train de tourner, tout aussi rapidement. « Pour le temps que ça durera », effectivement.
Que reste-t-il maintenant de « Je suis Charlie » ? Pas grand-chose. J’étais prête à le défendre pendant que c’était en train de se passer et que les gens attaquaient ce slogan à la con (je hais cette époque où nous vivons où l’on doit tout réduire à des slogans et des hashtags et 140 signes et des putains d’icônes et de symboles et de concepts de merde universels et suffisamment politiquement corrects partout pour que tous les imbéciles qui peuplent cette planète jusqu’au dernier les comprennent et les reprennent), mais je ne me reconnais pas non plus dans ces mots, pour être tout à fait
honnête. Pas à cause de Charlie Hebdo et de ce qu’ils étaient ou n’étaient pas, pas pour rejeter cette unité nationale que j’ai essayé de mon mieux de défendre en même temps que tout le monde, juste… juste parce que ce que j’ai ressenti, ce que je ressens toujours, cette gigantesque putain de boule d’émotions et de confusion et de réflexions avortées ne peut pas être contenue dans ces trois mots, dans ce putain de slogan… ça ne colle pas. Non que je sois un flocon de neige unique et merveilleux, j’ai adopté des slogans par le passé parce qu’ils sonnaient vrais pour moi, parce qu’ils résumaient très bien une idée à laquelle je pouvais souscrire, mais tout ça, tout ce putain d’événement dont je fais partie malgré moi… « je suis Charlie », « je ne suis pas Charlie », que les slogans et les hashtags aillent se faire foutre, tout ça c’est de la connerie. Tout est vide de sens. Je suis encore en train d’essayer de comprendre ce qui m’arrive, et il ne peut y avoir de réponse aussi simple et facile. On en est encore à essayer de justifier ce putain de slogan alors qu’on n’y tient au final pas tant que ça, et ça rajoute encore un autre putain de débat à la pile de ceux dont on se passerait bien. Aussi rapidement et spontanément qu'il est né, ce slogan a dépassé son utilité immédiate et a déjà fait son temps.
Une des premières réactions que j’ai vues en ligne quand la nouvelle du massacre est tombée a été « il n’y a pas de mots ». J’ai vu quelqu’un y répondre presque immédiatement : « Non, il n’y en a pas, mais il faudra bien en trouver. » A présent il y a des mots partout, mais cette première réaction pour moi s’applique toujours et n’a pas changé. « Il n’y a pas de mots ». Quelle est donc cette obligation de trouver des mots à tout prix alors qu’il n’y en a pas ?
Des témoins qui ont entendu les coups de feu et vu les deux hommes armés dans la rue ont dit que leur pensée première était « ce n’est pas possible. Pas ici. Ce n’est pas possible. » Ils pensaient que les coups de feu étaient des pétards. Ils pensaient que les deux hommes armés étaient venus juste pour intimider ou menacer, que c’était juste une démonstration de force, qu’ils avaient dû rater leur cible.
Et voilà le cœur même du problème. Toute l’impossibilité de la chose. Ce n’est pas seulement que nous ne pouvons toujours pas comprendre ce qui s’est passé, nous ne pouvons même pas en appréhender la réalité. Et à notre époque de phrases courtes où tout se passe si vite et où nos émotions ne peuvent même plus rattraper les événements et les mots, comment serait-il possible de le rendre plus réel ?
Le temps de la peine est passé et maintenant tout ce qu’il reste c’est de la peur. Je ne me sens pas mieux, même après avoir été dans les rues avec le reste de la France. Mon esprit est rempli de mauvaises pensées et de gens blessés et de bombes qui explosent et de lois liberticides.
J’ai essayé de retirer quelque chose de positif de tout ça en discutant avec une amie à moi, en parlant du fait que les gens se sont rassemblés très rapidement pour montrer de l’unité, et ça ça devait compter pour quelque chose de bien, ça, non ? Elle qui est d’habitude très optimiste et joyeuse m’a dit pragmatiquement, sans amertume et avec sincérité : « Oui… pour le temps que ça durera. »
Je ne peux pas oublier cette phrase. Tout s’est passé tellement vite, et la peine et la douleur se sont abattues sur nous immédiatement et tout le long, pendant que nous passions par cet horrible maelstrom d’émotions inconcevables, les gens étaient déjà en train de commenter sur ce qui s’était passé et ce qui était en train de se passer et ce qui allait se passer après. Tout à la fois. Nous avions une conscience aiguë des yeux du monde entier braqués sur nous pendant que nous entendions et lisions des choses horribles sur les victimes et sur la France en général, alors que nous étions encore en train de souffrir. Nous nous sommes défendus, nous nous en sommes pris les uns aux autres, nous avons accusé, nous avons protégé, nous avons crié, nous avons pleuré nous avons récusé, nous avons expliqué, nous avons excusé, nous avons attaqué, nous avons contre-attaqué, des mots, des mots, des mots, empilés les uns sur les autres aussi vite qu’ils pouvaient être tapés sur un clavier… tout ça, tellement rapidement. Et tout est encore tellement confus. On nous a demandé ce que l’on pensait alors que nous ne pouvions même pas former de pensée. Et nous pouvons tous sentir que le vent est en train de tourner, tout aussi rapidement. « Pour le temps que ça durera », effectivement.
Que reste-t-il maintenant de « Je suis Charlie » ? Pas grand-chose. J’étais prête à le défendre pendant que c’était en train de se passer et que les gens attaquaient ce slogan à la con (je hais cette époque où nous vivons où l’on doit tout réduire à des slogans et des hashtags et 140 signes et des putains d’icônes et de symboles et de concepts de merde universels et suffisamment politiquement corrects partout pour que tous les imbéciles qui peuplent cette planète jusqu’au dernier les comprennent et les reprennent), mais je ne me reconnais pas non plus dans ces mots, pour être tout à fait
honnête. Pas à cause de Charlie Hebdo et de ce qu’ils étaient ou n’étaient pas, pas pour rejeter cette unité nationale que j’ai essayé de mon mieux de défendre en même temps que tout le monde, juste… juste parce que ce que j’ai ressenti, ce que je ressens toujours, cette gigantesque putain de boule d’émotions et de confusion et de réflexions avortées ne peut pas être contenue dans ces trois mots, dans ce putain de slogan… ça ne colle pas. Non que je sois un flocon de neige unique et merveilleux, j’ai adopté des slogans par le passé parce qu’ils sonnaient vrais pour moi, parce qu’ils résumaient très bien une idée à laquelle je pouvais souscrire, mais tout ça, tout ce putain d’événement dont je fais partie malgré moi… « je suis Charlie », « je ne suis pas Charlie », que les slogans et les hashtags aillent se faire foutre, tout ça c’est de la connerie. Tout est vide de sens. Je suis encore en train d’essayer de comprendre ce qui m’arrive, et il ne peut y avoir de réponse aussi simple et facile. On en est encore à essayer de justifier ce putain de slogan alors qu’on n’y tient au final pas tant que ça, et ça rajoute encore un autre putain de débat à la pile de ceux dont on se passerait bien. Aussi rapidement et spontanément qu'il est né, ce slogan a dépassé son utilité immédiate et a déjà fait son temps.
Une des premières réactions que j’ai vues en ligne quand la nouvelle du massacre est tombée a été « il n’y a pas de mots ». J’ai vu quelqu’un y répondre presque immédiatement : « Non, il n’y en a pas, mais il faudra bien en trouver. » A présent il y a des mots partout, mais cette première réaction pour moi s’applique toujours et n’a pas changé. « Il n’y a pas de mots ». Quelle est donc cette obligation de trouver des mots à tout prix alors qu’il n’y en a pas ?
Des témoins qui ont entendu les coups de feu et vu les deux hommes armés dans la rue ont dit que leur pensée première était « ce n’est pas possible. Pas ici. Ce n’est pas possible. » Ils pensaient que les coups de feu étaient des pétards. Ils pensaient que les deux hommes armés étaient venus juste pour intimider ou menacer, que c’était juste une démonstration de force, qu’ils avaient dû rater leur cible.
Et voilà le cœur même du problème. Toute l’impossibilité de la chose. Ce n’est pas seulement que nous ne pouvons toujours pas comprendre ce qui s’est passé, nous ne pouvons même pas en appréhender la réalité. Et à notre époque de phrases courtes où tout se passe si vite et où nos émotions ne peuvent même plus rattraper les événements et les mots, comment serait-il possible de le rendre plus réel ?